• La chute


           

    Titre : La chute

    Auteur : Albert Camus

    Première parution : 1956

    Édition lue : Folio

    SYNOPSIS

     « Sur le pont, je passai derrière une forme penchée sur le parapet, et qui semblait regarder le fleuve.De plus près, je distinguai une mince jeune femme, habillée de noir. Entre les cheveux sombres et le col du manteau, on voyait seulement une nuque, fraîche et mouillée, à laquelle je fus sensible. Mais je poursuivis ma route, après une hésitation. J'avais déjà parcouru une cinquantaine de mètres à peu près, lorsque j'entendis le bruit, qui malgré la distance, me parut formidable dans le silence nocturne, d'un corps qui d'abat sur l'eau.Je m'arrêtai net, mais sans me retourner. Presque aussitôt, j'entendis un cri, plusieurs fois répété, qui descendait lui aussi le fleuve, puis s'éteignit brusquement. »

     

    Albert Camus, né le 7 novembre 1913 à Mondovi, près d'Annaba (anciennement Bône), en Algérie, et mort le 4 janvier 1960 à Villeblevin, dans l'Yonne en France, est un écrivain, philosophe, romancier, dramaturge, essayiste et nouvelliste français. Il est aussi journaliste militant engagé dans la Résistance française et, proche des courants libertaires, dans les combats moraux de l'après-guerre. Son œuvre comprend des pièces de théâtre, des romans, des nouvelles, des films, des poèmes et des essais dans lesquels il développe un humanisme fondé sur la prise de conscience de l'absurde de la condition humaine mais aussi sur la révolte comme réponse à l'absurde, révolte qui conduit à l'action et donne un sens au monde et à l'existence, et « alors naît la joie étrange qui aide à vivre et mourir ».

    « Pour la modestie, vraiment, j'étais imbattable. »

    Pour continuer sur la lignée de L'étranger, que j'ai lu il n'y a pas si longtemps — et il était temps — et auquel je n'ai pas souhaité m'attaquer dans un article, j'ai choisi d'opter pour La chute, un roman qui lui ressemble énormément dans la narration, le style et la technique.

    « La vérité c'est comme la lumière, aveugle. Le mensonge, au contraire, est un beau crépuscule qui met chaque objet en valeur. »

    C'est l'histoire d'un homme qui se confesse à un autre. Seulement, seul ce premier parle, et seule sa voix s'étend dans le roman, elle seule résonne. Ce procédé tend, d'après quelques analyses, à faire écho au sentiment de malaise qui se distille à travers les paroles de cet homme. Certains de ses propos sur la vie, l'existence, les femmes, les hommes, les étrangers, les sentiments, l'ego, sont très marqués et parfois détestables, ce qui rappelle une fois encore le très célèbre roman qui le précède. Un malaise généralisé, très particulier et reconnaissable entre mille, que Camus manie d'une main de maître.

    « Trop de gens ont décidé de se passer de la générosité pour pratiquer la charité. »

    Ce roman était plus reposant, je ne l'ai pas lu d'une traite. La lecture était plus fastidieuse, il fallait que je m'arrête, c'est certainement le manque d'action et la placidité de cette narration qui m'a dérangé. Ce classique m'a pourtant bien entraîné : les bizarreries, les anecdotes m'ont fait rentrer dans le vif du récit, et surtout, le principal à retenir de ces mots : l'image de la chute, de la chute sociale, du désintérêt total, de la conscience, cet homme qui assiste finalement au suicide d'une femme, qui l'entend tomber, couler, glisser, se noyer, sans la sauver, qui le raconte calmement, sans regret aucun, en contournant, justement, les regrets éventuels, se figurant que ce bruit n'était qu'habituel. Pourtant, il est poursuivi...

    « Je vais vous dire un grand secret... N'attendez pas le Jugement dernier. Il a lieu tous les jours. »

    Il y a là également une mine de phrases d'anthologie, des bijoux terrifiants de vérité entre les mains de l'auteur, qui les colle ici, les fait partager, les décortique langoureusement sous les yeux ébahis du lecteur attentif... Une réflexion constante sur tous les sujets traversés, esquissés, retournés, mâchés, toutes les pensées agitées comme dans un vase omniprésent. Une mine horrible sortie des neurones de ce maître de l'absurde.

    « Nous ne pouvons affirmer l'innocence de personne, tandis que nous pouvons affirmer à coup sûr la culpabilité de tous. »

    Comme d'ordinaire : le roman se termine et je ne sais que penser, qu'interpréter. Je m'incline devant tant de génie, de mystères ; je grave cette atmosphère ténébreuse, ces sillons noirs de la plume de Camus, ce qui s'en dégage encore, longtemps après, dans la mémoire, ce que les mots, puissants, atroces, hypocrites parfois, invoquent lentement, à la manière du bruit qui semble rebondir éternellement dans le caveau cérébral de l'Homme...

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  • Le crime du comte Neville


     

    Titre : Le crime du comte Neville

    Auteure : Amélie Nothomb

    Première parution : Août 2015

    Édition lue : Albin Michel

    SYNOPSIS

     « Ce qui est monstrueux n'est pas nécessairement indigne. »

     

    Amélie Nothomb est une femme de lettres belge francophone. Ses romans, décrits comme une intertextualité entre la littérature japonaise médiévale et la littérature occidentale, évoquent des thèmes comme le sens de la vie et de la condition humaine, le métier d'écrivain — ils mettent également en scène un personnage de l'écrivain présenté comme autobiographique — ou encore le suicide amoureux. Depuis ses débuts en 1992 elle publie exactement un ouvrage par an.

    Comme chaque année, c'est l'attente, c'est la chaleur qui apaise en excitant... Car août approche, toujours, il veut me prendre, me tirer vers la sortie, et la sortie c'est les cours, la socialisation, les problèmes — sans société, comment voulez-vous que j'aie des problèmes ? —, mais, et là se trouve toute la chair de dilemme, il y a aussi Amélie Nothomb qui publie son dernier né. Le rejeton de 2015 est un bel hommage à Oscar Wilde et accessoirement — ô surprise — un conte.

    « L'insomnie consistait en une incarcération prolongée avec son pire ennemi.

    Ce dernier était la part maudite de soi. »

    Pour faire court : c'est un comte qui apprend d'une voyante — qui a recueilli sa fille après une prétendue fugue — qu'il tuera, à la grande réception d'octobre, un de ses invités. Nous est ensuite expliqué que tuer un invité, cela ne se fait pas. L'écriture n'emprunte rien : c'est du Nothomb tout craché, et c'est je pense une des seules qualités, finalement, de cette romancière. Elle sait happer le lecteur, elle a cette technique inimitable de l'adjectif biscornu, de la tournure cynique risible, de l'attachement méprisable, du mépris mesuré dans les lignes, qui peut faire passer n'importe quelle histoire — d'où, de mon intime confession, la sortie annuelle de roman ; comme, dit-elle, des accouchements. Le style sait jouer ces tours particuliers et entraînants, il gobe en quelque 130 pages cette fois-ci.

    « J'ai plus de tolérance pour le parricide et le matricide que pour l'infanticide. »

    Il y a également l'histoire, toujours aussi familière, dans le fond, et singulière, tissée on ne sait d'où, sortant on ne sait de quelle imagination noirâtre et dérangée, déformée. Il y a le fil, ingénu en apparence, qui s'étire pour devenir monstrueusement hypocrite, volant les fins classiques en en changeant l'ingrédient le plus important de la recette. À ce sujet, l'humour un tantinet vaudevilliste qui se distille paisiblement à chaque bifurcation du conte prend un tournant particulier à la fin, qui détonne, sans en rien dire, comme d'ordinaire. C'est l'originalité, seule, veuve, qui opère dans toutes mes lectures nothombiennes, immanquablement, avec la même intensité ; c'est là la seconde qualité que je pourrais citer si j'avais quelque autre analyse à fournir, et je pense que c'est suffisant.

    « Ne plus posséder cet endroit de rêve n'était pas grave, mais qu'il soit détruit, même à titre d'hypothèse, les suppliciait tous les deux. »

    J'ai toujours l'impression horripilante de me faire arnaquer. Je me fais assurément arnaquer. Et j'en redemande. Béatement. En bon mouton certainement. Conscient, cela je le sais, qu'il ne s'agit pas d'une grande littérature comme j'en suis féru, ce qui me rebute parfois ; qu'il y a là une histoire presque enfantine qui pourrait me faire vomir, encore, du réel. Comme après une partie de billes, je repars avec le sourire en ayant tout perdu : mon temps, mon bien — et, il faut en être sûr, je reviendrai demain pour le même fauchage violent mais joyeux.

    « Vous qui n'avez jamais eu faim, vous ne savez pas ce à quoi la pauvreté accule... »

    Le cynisme m'a fait du bien. J'aurais quand même à reprocher les longueurs dues aux flashbacks sur les vies des personnages, qui n'ont pas grande importance sur le déroulé des événements. Du reste, il ne se passe pas grand-chose. Mais c'est suffisant. J'aurai perdu mon temps, quelques neurones, et pourtant, je reviendrai dans un an. En réalité c'est presque triste. Quelque peu frustrant. Oui, je pense ne rien révéler en disant que ma lecture fut une vraie tragédie grecque...

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  • Enfance


             

    Titre : Enfance

    Auteure : Nathalie Sarraute

    Première parution : 1983

    Édition lue : Folio

    SYNOPSIS

     « Ce livre est écrit sous la forme d'un dialogue entre Nathalie Sarraute et son double qui, par ses mises en garde, ses scrupules, ses interrogations, son insistance, l'aide à faire surgir "quelques moments, quelques mouvements encore intacts, assez forts pour se dégager de cette couche protectrice qui les conserve, de ces épaisseurs (...) ouatées qui se défont et disparaissent avec l'enfance". Enfance passée entre Paris, Ivanovo, en Russie, la Suisse, Pétersbourg et de nouveau Paris. Un livre où l'on peut voir se dessiner déjà le futur grand écrivain qui donnera plus tard une œuvre dont la sonorité est unique à notre époque. » 


    Nathalie Sarraute, Natalia (Natacha) devenue Natalie Tcherniak née à Ivanovo-Voznessensk, en Russie, le 5 juillet 1900, morte à Paris le 19 octobre 1999, est une écrivaine française d'origine russe. Elle a reçu le Prix international de littérature pour son roman Les Fruits d'Or écrit en 1963.

    Cette magnifique autobiographie, empreinte d'une poésie désordonnée et enfantine — c'est ce qui je pense fait le charme de l'ouvrage, puisque les yeux du lecteur rajeunissent à l'entrée puis grandissent, lentement, ces onze années passées avec la narratrice —, est en réalité le dialogue entre les deux parties fragmentées de l'âme de la jeune Nathalie Sarraute... On bascule en effet entre ce qui sera appelé la VOIX CONTEUSE qui raconte fidèlement ces aventures de l'enfance, sans se questionner, sans hésitations ; et la VOIX CRITIQUE qui remet tout en question, qui apporte un semblant de nihilisme à travers des interrogations presque rhétoriques : elle peut s'apparenter à la conscience adulte de l'écrivain. Celle-ci encourage celle-là, ou au contraire lui expose les risques qu'elle encourt à se prendre à ce jeu...

    « À moi aussi un sort a été jeté,
    je suis envoûtée, je suis enfermée ici avec eux, dans ce roman, il m’est impossible d’en sortir… »

    Ce sont donc onze années racontées par bribes, anecdotes presque, des morceaux qui résument, illustrent l'ensemble : une enfance difficile, partagée entre France et Russie, mère et père, belle-mère et belle-sœur, grand-mère et instruction, innocence et violence... Une gaieté que l'on retrouve, très adolescente, fluctuante, fait ainsi office de preuve candide, l'attestation pour l'auteur que tout ceci l'a frappée à ces âges, avec ces pensées, avec ces convictions : des papillons enfantins flottant dans sa tête, sans sérieux aucun — il n'y en a pas besoin.

    « "Dis-moi, est-ce que tu me détestes ?"
    [...] Véra s'arrête brusquement, elle garde le silence... et elle dit de son ton bref, péremptoire :
    "Comment peut-on détester un enfant ?" »

    Je me suis demandé à de très nombreuses reprises si ce n'était pas un peu rafraîchi, alimenté de supputations — et à ce titre il faut remettre une fois encore les honneurs dus à Nathalie Sarraute, qui use de sa voix critique pour lui rappeler qu'elle ne se rappelle pas bien... —, en concluant, toutes les fois, que cela n'avait aucune importance. Sachant qu'en 1983 elle avait 83 ans, c'est un effort titanesque que de remuer ainsi tous les jardins de la basse, très basse, lointaine, petite enfance... Mais on sent également, en lisant, que cela lui a fait un bien fou, qu'elle en avait aussi besoin, à titre personnel comme expérimental : elle l'explique en conversant avec elle-même, beau moyen de s'adresser directement aux éventuelles critiques précoces...

    « Mais maman lâche ma main, ou la tient moins fort, elle me regarde de son air mécontent et elle me dit :
    "Un enfant qui aime sa mère trouve que personne n'est plus beau qu'elle." »

    Un roman d'une beauté, d'une ingénuité magistrales, un grand chef-d'œuvre, très accessible, brut, dur et dru, comme je me souviens de l'emploi fréquent des deux substantifs. On nous fait voyager au cœur d'une époque sombre avec une sorte de joie inconditionnelle, trop durement bâtie pour risquer quelque éboulement que ce soit ; au cœur, de même, de la déstructuration familiale, très présente, et ici sans répercutions : la période des onze ans est indiscutable et tout débordement ne peut être envisageable. Seule son âme d'adulte raisonné se mêle par moments au récit, indubitablement, mais timidement, et pour de courtes durées. Des détails de la vie rappelés, des habitudes de jeunes enfants retrouvées... Et un caractère historique, de mémoire, du reste : non qu'il y ait aucun rapport avec la guerre, mais on a tout de même la description, en son intérieur le plus dénué, d'une caste bourgeoise qui fuit sans cesse, qui s'établit, ravagée par les événements... Toujours avec des yeux d'enfant peu à peu désabusés. Du reste elle n'en montre rien, et là où le livre excelle réellement, c'est qu'il ne nous est pas dit que la chose peut se montrer échevelée, mais au contraire qu'elle est peut-être un peu trop prospère...

    « Je dévale en courant, en me roulant dans l’herbe rase et drue parsemée de petites fleurs des montagnes jusqu’à l’Isère qui scintille au bas des prairies, entre les grands arbres… […] je regarde le ciel comme je ne l’ai jamais regardé… je me fonds en lui, je n’ai pas de limites, pas de fin. »

    Je n'en veux rien dire, mais j'avoue avoir été seulement déçu par la fin, trop brusque à mon goût. Et trois cents pages, c'est trop court, bien trop pour cette plume magnifique : on en veut davantage quand tout se ferme d'un coup sans nous demander notre avis. Je pense que cela fait également partie du travail expérimental mené, comme une vaine et macabre chirurgie sur un passé en lambeaux...

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