• Parce que l'horreur gagne les cœurs mais que doit en sortir la peur, parce que les larmes tombent et parce que le sang coule, parce que le peuple se sent cerné, criblé des mêmes balles, déshonoré, parce que la peine accompagne ces jours sombres et les pertes nos pas, partout, pour des causes inexistantes, à cause d'une folie qui n'a pas de nom ; parce que chacun a à se regarder dans un miroir, parce que les hommes, les femmes, les enfants, tous ne demandent qu'une chose : vivre en paix ; parce que c'est encore un coup porté à la culture auquel nous assistons, à nos valeurs, à nos mœurs et au fer de lance de notre société, aux arts où se trouve son salut ; parce que nous avons pleuré hier, pleurons aujourd'hui et pleurerons encore demain la mort de nos confrères et consœurs ; parce qu'il n'existe aucun mot que j'aie lu qui suffise à qualifier la haine émanant de ces gestes immondes, de ces pensées innommables, de ces vérités affreuses, de ces mains souillées et nombreuses ; parce que le monde pleure avec nous, parce que le vent n'emportera pas ces cris, parce que nous n'oublierons pas ; parce que ce n'est pas une guerre, ce n'est pas l'islam, ce n'est pas un État, mais bien un deuil parmi les deuils et une peine parmi les peines, une horreur parmi les horreurs, mais aussi parce que la lumière, si elle est voisine de l'ombre, est en chacun de nous ; pour toutes ces raisons, j'adresse mes vœux les meilleurs à chaque Français et à chaque Française, à ceux qui ont un espoir de paix, de prospérité, de sécurité, là peut-être quelque penchant utopiste, mais que veut-on une lumière sans espoir, que veut-on une nation sans paix, que veut-on une société sans arts, que veut-on une communauté sans réflexion, sans éducation, sans libertés ! Je les adresse avec toute la chaleur qu'il m'est permis de produire en ce jour glacial, et j'appelle, s'il me reste un peu de voix, s'il me reste un peu d'espoir, chacun à s'unir, à résister et à rendre l'hommage que ces victimes méritent, à rendre son honneur à la République ; que dis-je, je tends une main, et c'est au premier qui voudra bien s'en saisir et me guider. Et que ce soit votre chaleur qui me dirige, et non la peur, parce qu'elle est une horreur plasmatrice, une horreur qui ne dit pas son nom. Et que sans oublier l'on fasse barrage au fanatisme, à la démagogie et à la violence, qu'avec force, si l'on ne peut marcher dans les rues, l'on marche, à chaque instant qui a cette chance d'être vécu, dans nos esprits, tous ensemble.

    Moult tristesse, moult sidération, moult rage, peut-être même, mais pas de peur. Seulement la foi non pas en quelque religion que ce soit, mais en la démocratie et en l'union. Que tel soit le salut dont nous manquons tant en ces heures assiégées par des lâchetés abjectes.

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  • Corps et biens


           

    Titre : Corps et biens

    Auteur : Robert Desnos

    Première parution : 1930

    Édition lue : NRF (Poésie/Gallimard)

    SYNOPSIS

     « La coïncidence entre le besoin de projeter ses plus libres fantasmes et, d'autre part, celui d'une "technique poétique" font de Desnos un poète de la surréalité, et donc de la modernité, en même temps qu'un poète qui se rattache à une tradition, celle des grands baroques. C'est là peut-être l'originalité de cette voix si douée qui, avec ses intempérances et ses turbulences, ses écarts, ses inégalités, mais toujours son intensité, est une de celles qui nous forcent le plus manifestement à reconnaître la présence de cette chose spécifique, irréductible, qui s'appelle la poésie. Au reste, et c'est ce qu'il faut dire encore, cette voix était celle d'un homme chez qui le besoin d'expérimenter sous toutes ses formes le langage poétique, allait naturellement avec celui d'expérimenter la vie sous toutes ses formes aussi ; d'un homme qui était plein de passion, curieux et joueur de tout, courageux, généreux et imprudent ; et qui est mort à quarante-cinq ans, dans les circonstances que l'on sait, d'avoir eu ce goût violent de la vie, et donc de la liberté, et d'avoir voulu le pousser jusqu'à ses dernières extrémités. »
    René Bertelé.

     

    Robert Desnos est un poète français, né le 4 juillet 1900 à Paris et mort du typhus le 8 juin 1945 (à 44 ans) au camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie à peine libéré du joug de l'Allemagne nazie.

    Notre paire

    Notre paire quiète, ô yeux !
    que votre "non" soit sang (t'y fier ?)
    que votre araignée rie,
    que votre vol honteux soit fête (au fait)
    sur la terre (commotion).

    Donnez-nous, aux joues réduites,
    notre pain quotidien.
    Part, donnez-nous, de nos oeufs foncés,
    comme nous part donnons
    à ceux qui nous ont offensés.
    Nounou laissez-nous succomber à la tentation
    et d'aile ivrez-nous du mal.

    Corps et biens. Un monument. Une œuvre résumée, menue, que les camps ont arraché au monde. Mais le monde le méritait-il seulement ?... C'est ce recueil publié en 1930, contenant entre autres Rrose Sélavy, la très célèbre mine de jeux littéraires de Robert Desnos qu'il fait toujours plaisir de relire, auquel je me suis attaqué — quoiqu'il m'ait plus attaqué que je ne l'ai attaqué. 

    Au mocassin le verbe

    Tu me suicides, si docilement.
    Je te mourrai pourtant un jour.
    Je connaîtrons cette femme idéale
    Et lentement je neigerai sur sa bouche.
    Et je pleuvrai sans doute même si je fais tard, même si je fais beau temps.
    Nous aimez si peu nos yeux
    et s'écroulerai cette larme sans
    raison bien entendu et sans tristesse.
    Sans.

    Desnos perce et creuse jusqu'au cœur du surréalisme, il mêle les biens — que sont-ils, d'où viennent-ils, que font-ils — et les corps, et les esprits, et les matériaux d'un matériau, et les chaînes d'une chaîne qui relie l'extatique pensée. Il montre ce que nous pouvons faire en la maniant correctement. Est-ce la manier que de la déchirer, de la réduire, de la froisser, de la mâcher, de la disséquer, la langue, aussi ? Ce sont des jeux torturés qui persillent chaque page, chaque bifurcation hasardeuse — le recueil peut en effet se lire dans tous les sens, même si le gauche à droite est préférable. Dans une journée, il y a tant d'occasions d'ouvrir un Desnos que je mourrais volontiers du calcul.

    Dans bien longtemps je suis passé par le château des feuilles
    Elles jaunissaient lentement dans la mousse
    Et loin les coquillages s'accrochaient désespérément aux rochers de la mer
    Ton souvenir ou plutôt ta tendre présence était à la même place
    Présence transparente et la mienne
    Rien n'avait changé mais tout avait vieilli en même temps que mes tempes et mes yeux

    Je vois cette œuvre comme un bijou, une base à l'origine de la langue même. Comme si cette base n'avait pas existé avant Desnos. De même, je peine à comprendre que l'on puisse encore se baser sur des poèmes pompeux du XVIIème dans les classes du premier cycle, alors que l'on pourrait s'emparer de R.D. en un éclat vivifiant de vigueur verbale. La vigueur verbale, oui, oh, comme je voudrais en parler ! J'en parle donc : tout passage mérite d'être lu à haute voix distincte et forte et légèrement engluée, d'être utilisé comme un exemple, d'être illustré comme le reste, mis en situation. Corrélé peut-être aussi avec ce que l'on peut corréler pour donner du sens à ce qui n'a aucun besoin de sens.

    J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec
    ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant,
    qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre
    cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera allègrement
    sur le cadran solaire de ta vie.

    Je lui préfère sa forme courte. Elle cingle, atteint, apporte beaucoup de vie — de mon humble avis. Une lecture qui peut faire rire, sourire, pleurer. Une lecture qui console, il faut le dire. Chaque ligne a son importance et son inutilité. Chaque mot a sa place et son degré de solubilité dans un ensemble merveilleusement bien ficelé, fantastique en son sens pur et folklorique, comme un tableau de gaieté cachant une noire réalité... Une lecture qui rassure. Et lorsque la dernière page est tournée, on se sent bien mal...

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