• Chloé Delaume — Le cri du sablier

    Le cri du sablier

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    Titre : Le cri du sablier

    Auteure : Chloé Delaume

    Première parution : 2001

    Édition lue : Folio

    SYNOPSIS

     « Le livre de Chloé Delaume est le récit d'une réminiscence. Il remonte le temps afin de faire voler en éclats un passé oppressant. Sa virulence a la puissance du cri. Véritable leitmotiv du roman, la métaphore du sablier se propage, se ramifie : elle dessine la figure centrale et traumatisante d'un père «sédimentaire» et d'une «enfant du limon».
    Ni pathos ni complaisance. Mais la tentative, à l'âge adulte, de répondre au questionnement d'un enfant, tentative rendue possible par une certaine douceur de l'ironie. Tout passe par le prisme d'une langue singulière, débordante d'inventions. Le style est démesuré, tantôt lapidaire, tantôt abyssal. Les mots se bousculent, deviennent envahissants, jusqu'à donner une impression de fusion. »

     

    Chloé Delaume, de son vrai nom Nathalie Dalain, née à Versailles le 10 mars 1973, est une écrivaine française. Elle est également éditrice et, de manière plus anecdotique, performeuse, musicienne et chanteuse. Son œuvre littéraire, pour l'essentiel autobiographique, est centrée sur la pratique de la littérature expérimentale et la problématique de l'autofiction. En 1983 se déroule à Paris le drame familial qui hantera toute son œuvre : alors qu'elle n'a que 10 ans, son père tue sa mère devant ses yeux puis se suicide.

    C'est encore une lecture de Chloé Delaume qui ne m'aura pas laissé indifférent. Chronologiquement, puisque nous sommes toujours dans l'histoire personnelle de l'auteure, une espèce d'autofiction, comme elle le relate elle-même — préférant détacher son propre personnage après l'avoir inclus, pour donner une dimension nouvelle au récit, rendre l'écriture plus complexe et labyrinthique —, Le cri du silence constitue le deuxième livre après Les mouflettes d'Atropos dont je ferai prochainement la chronique.

    « Maman se meurt première personne.
    Elle disait malaxer malaxer la farine avec trois œufs dedans et un yaourt nature. Papa l’a tuée deuxième personne.
    Infinitif et radical.
    Chloé se tait troisième personne.
    Elle ne parlera plus qu’au futur antérieur.
    Car quand s’exécuta enfin le parricide il fut trop imparfait pour ne pas la marquer. »

    La narration, toujours transcendée, portée jusqu'à un paroxysme singulier et très torturé, une réalité déformée, hachurée, hurlée, déroutée, qui désarme, emporte le lecteur dans cet autre monde, cette caverne abrupte où Chloé Delaume concocte ses romans. Ses romans, des mélanges sauvages, amers, abscons parfois — la lecture n'en est que plus palpitante.

    « Comme ça s'appelait l'amour ils firent le nécessaire. Ils n'eurent jamais d'enfants pour contrarier tout le monde et vécurent dans une île retranchée dont le nom fut perdu. Car la confiance luisant le reste importait peu. »

    Ce livre est également un vrai dictionnaire. Les mots employés ne se recyclent jamais ; il y a du reste un énorme travail sur la phonétique, comme je l'avais mentionné pour Dans ma maison sous terre. Je l'ai lu d'une traite, parce que je ne pouvais pas faire autrement. J'ai été aspiré. Happé. Par l'histoire de cette enfant arrachée à tout, tout ce qui peut se présenter sur sa route, déracinée, dont les parents sont morts très tragiquement, qui est recueillie comme un morceau de viande avariée par ses oncles racistes, horribles, répugnants et inélégants. L'archétype de la marâtre ; Chloé Delaume, en bonne Cendrillon, transmet avec émotion ce passé extrêmement sombre, le verse longuement à travers ces phrases déformées, ces lignes annihilées, ces espèces de poèmes incorporés ; elle se déverse, oui, dans ce livre, elle se vide, d'un trait, d'un cri.

    « Ce n’est pas un spectacle pour les enfants. Conclurent-ils de concert le chœur sut s’accrocher. Dans la cage d’escalier la ribambelle noircie. La concierge coryphait le Kleenex à la main. Vacillante aux cothurnes le vernis fut brossé. A la montée des marches le silence s’imposa dans la crémeuse tension qui suit l’extrême-onction. »

    C'est ce cri qui suit la narration, toujours, ce cri que l'on devine, que l'on espère le plus long possible, qui donne des frissons, qui ne peut pas ennuyer, qui ne peut qu'atteindre, toucher, résonner, fort, puissant, indescriptible finalement, intelligible et textuel. Plus techniquement, les phrases sont généralement composées de 6 syllabes. On retrouve beaucoup de néologismes, de noms employés comme adjectifs, de disparitions d'articles, d'emplois en somme propres à la poésie. Un aspect tout à fait descriptif, figé, comme un monologue qui pourrait se prolonger des jours, des nuits entiers. Sous d'autres formes. D'autres aspects. Qui pourrait se partager, qui se partage, ici, du reste, seulement ici, à travers ces pages.

    « Or parfois l'on se doit de s'inquiéter d'un songe quand les larves mémorielles incessamment vous rongent. Car pendant des années accoudée à mon lit maman chanta nocturne de ménades homélies. Et ma vie s'engluait dans la déconfiture : quand pourrait-on m'aimer, moi, l'Antigéniture. »

    Un chef-d'œuvre expérimental, à mon sens. Le cri du sablier a obtenu le Prix Décembre 2001. C'est pour le moment le roman de Chloé Delaume que je préfère. Pour quiconque souhaite découvrir ses lettres débauchées, rapiécées, malaxées, boueuses et majestueuses, il est à lire absolument. L'expression rester sur le cul n'aura jamais été aussi appropriée.

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