• Jorge Luis Borges — La proximité de la mer

    La proximité de la mer

    Anthologie de 99 poèmes traduits de l'espagnol (Argentine) par Jacques Ancet


           

    Titre : La proximité de la mer

    Auteur : Jorge Luis Borges

    Première parution : 2010

    Édition lue : Gallimard / Du monde entier

    SYNOPSIS

     « Malgré une éclipse considérable de trente ans entre son troisième recueil – Cuaderno San Martín (1929) – et son quatrième – L'Auteur (1960) –, durant laquelle il a composé ses proses les plus mémorables, Borges n'a cessé, sinon de publier, du moins d'écrire de la poésie. Peut-être parce que le poème relève pour lui d'une nécessité existentielle. S'il y a recours aux mêmes obsessions et paradoxes qui ont fait la célébrité de ses récits – labyrinthes, tigres et miroirs, jeux sur le temps, l'espace ou l'identité, mais aussi mythologie de faubourgs, de malfrats, de guitare et de couteaux qui est celle de la milonga et du tango, à laquelle il restera attaché toute sa vie –, c'est moins pour nous plonger et nous perdre dans leur fascinant vertige, que pour les interroger ou nous en communiquer mezza voce l'inquiétante familiarité. Dans ses poèmes, Borges médite et chante. Et ce croisement de pensée et d'émotion leur donne ce mélange très particulier de rigueur et d'abandon, d'emphase maîtrisée et de simplicité retorse qui fait leur tonalité singulière. Quelque chose qui hésite, entre le vers bien frappé et la confidence chuchotée, entre l'épique et l'élégiaque, entre le baroque et, nous dit Borges, "non pas la simplicité, qui n'est rien, mais la modeste et secrète complexité."» Jacques Ancet.

     

    Jorge Luis Borges, de son nom complet Jorge Francisco Isidoro Luis Borges Acevedo, est un écrivain argentin de prose et de poésie, né le 24 août 1899 à Buenos Aires, et mort à Genève le 14 juin 1986. Ses travaux dans les champs de l'essai et de la nouvelle sont considérés comme des classiques de la littérature du XXe siècle.

    « Roi faible, torve fou, et acharnée,
    La reine, tour directe et pion malin
    Sur le noir et le blanc de leur chemin
    Cherchent et se livrent un combat concerté. »

    Après avoir lu les nouvelles, je m'attaque donc aux poèmes. C'est par hasard que je vis l'anthologie en librairie, mais la douce perspective de découvrir autre chose que de la prose éparse me plaisait beaucoup. J'avais du reste l'envie de contracter des lectures plus reposées et oublieuses, que je peux écarter quelque temps pour me consacrer à d'autres ; là certainement la triste volonté de se préparer au mois de septembre carnassier et impitoyable avec un peu de tendresse et de mélancolie, que j'avais tant appréciées dans l'extension perpétuelle de la crevasse littéraire dans les Fictions.

    « Je suis

    Je suis celui qui se sait non moins vain
    Que l'observateur vain qui, au miroir,
    Silencieux cristal, s'applique à voir
    Le reflet ou le corps de son prochain.
    Je sais, muets amis, je sais trop bien
    Qu'il n'est d'autre vengeance que l'oubli,
    D'autre pardon. Un dieu un jour offrit
    Cette clef rare à notre haine d'humains.
    Hors d'illustres erreurs, je suis celui
    Qui n'a pu déchiffrer le labyrinthe,
    L'unité innombrable, ardue, distincte,
    Du temps, qui est à moi, à tous. Je suis
    Personne, pas même un glaive sanglant.
    Je suis l'écho, l'oubli et le néant. »

    L'anthologie dressée par Jacques Ancet s'ouvre sur ces quelques mots de Jorge Luis Borges : « Tout vers devrait avoir deux devoirs : communiquer un fait précis et nous atteindre physiquement comme la proximité de la mer. » Ceci tendant donc à expliquer le titre donné au recueil — assez approximativement, donc, et sans représenter vraiment la globalité de la poésie borgésienne. La majorité des vers évoquent plutôt la littérature, des élucubrations sur le poète et son ego, des évocations épiques et historiques (Ulysse, Œdipe, Protée, Don Quichotte, Polycrate, et des dizaines d'autres), sans oublier des bribes en tous genres, évoquant des moments arrêtés et décortiqués, des passages insignifiants d'une vie et de celles qui l'entourent.

    « Est-elle un empire
    la lumière qui s'éteint
    ou une luciole ? »

    Suivant la citation, apparaît une longue et soporifique préface — que j'ai lue cependant — où Jacques Ancet dresse d'abord un portrait intéressant de la poésie — je dirais : les deux premières pages —, avant de s'attaquer — je dirais : les vingt pages suivantes — aux traductions antérieures qui lui ont hérissé le poil et lesquelles il fallait absolument pallier à travers cette anthologie, bla-bla-bla. Sachant qu'une bonne partie des lecteurs ignorent ces traductions, cette préface m'a semblé totalement hors sujet, centrée en outre davantage sur le traducteur que sur l'auteur, dont la poésie reste nébuleuse tandis que nous devenons incollables sur la métrique argentine...

    « Un homme, il est mort.
    Sa barbe ne le sait pas.
    Ses ongles s'allongent. »

    Vient ensuite ce qui me fit languir : les poèmes. J'ai été déçu. D'abord par une répétition presque totale, un recyclage, devrais-je dire, des rimes (j'aurais dû compter celles en "mort/sort" tant elles sont nombreuses), des procédés, des sujets. C'est peut-être la conséquence d'une mauvaise traduction, et il faut que l'on se trouve ici au paroxysme de l'ironie : après un pamphlet de vingt pages sur ses confrères, il serait exceptionnel, pensé-je, que le traducteur ait fait le travail avec ses pieds. Néanmoins, ni l'édition ni moi ne sommes bilingues : je ne peux donc rien affirmer ; de plus, je ne doute pas que ce soit là un grand défi que de s'attaquer à ce qui a déjà été traduit et, surtout, à ce qui provient de Borges.

    « UN POÈTE DU XVIII SIÈCLE

    Il corrige les brouillons incertains
    De son sonnet sans titre, le premier,
    Cette page arbitraire où sont mêlés
    Des tercets imparfaits et des quatrains.

    Lent il les cisèle, plume à la main
    Et s'arrête. Lui est-il arrivé
    De l'avenir et son horreur sacrée
    Une rumeur de rossignols lointains ?

    Qu'il n'est pas seul : l'a-t-il senti, au fond,
    Que le secret, l'incroyable Apollon
    Vient de lui révéler un archétype,

    Un avide cristal où tout est pris
    De ce qu'ouvre le jour ou clôt la nuit :
    Dédale, labyrinthe, énigme, Œdipe ? »

    J'ai ensuite été déçu par le style en lui-même, qui ne m'a guère touché. Qui ne m'a, en règle générale, pas atteint, bien que certains poèmes m'aient beaucoup plu. On retrouve toujours ce penchant de l'auteur pour la littérature, cette admiration pour Whitman et Macedonio Fernández, pour les mythologies, les échecs, les labyrinthes et les pensées profondes sur le verbe et la personne ; cette même passion qui suinte par tous les pores d'une poésie grandiose — il incombe de le mentionner. Cependant, j'ai pu juger que cette poésie n'est pas de ce qui m'émeut, même si les démarches sur le poète m'ont vraiment intéressé, et le côté répétitif m'a lassé le long de ces 99 poèmes.

    « Le plus prodigue amour lui fut donné,
    L'amour qui n'espère pas être aimé. »

    Il y a à partir de la page 159 un groupement de dix-sept haïkus (comptabilisés comme un seul et même poème), lesquels m'ont agréablement surpris. J'ose espérer que ma déception n'est que synonyme de manque d'entraînement et que, si l'occasion s'en présente, je saurai mieux apprécier la plume poétique de Jorge Luis Borges dans un autre recueil — de préférence mieux préfacé !...

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