• Dans ma maison sous terre

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    Titre : Dans ma maison sous terre

    Auteure : Chloé Delaume

    Première parution : 2009

    Édition lue : Seul — Fiction & Cie

    SYNOPSIS

     « C'est un cimetière. Où Chloé tente d'écrire un livre de vengeance, un livre qui pourrait tuer. Sa cible, c'est la grand-mère, femme dénuée d'empathie, qui lui a révélé par le biais d'une tierce personne un secret de famille. De ces secrets qui dévastent et ruinent l'identité. Apparaît Théophile, un personnage étrange, grand habitué des lieux. A ses côtés Chloé va visiter les tombes, et entendre les morts un à un se confier. Chacun a son histoire, sa musique, sa chanson. Et sa leçon, peut-être. Qui pourrait être utile à la reconstruction de ce Moi saccagé. Entrelaçant quête personnelle et voix des disparus, Dans ma maison sous terre est un roman qui interroge notre rapport à la mort, à la littérature et à la psychanalyse. »

     

    Chloé Delaume, de son vrai nom Nathalie Dalain, née à Versailles le 10 mars 1973, est une écrivaine française. Elle est également éditrice et, de manière plus anecdotique, performeuse, musicienne et chanteuse. Son œuvre littéraire, pour l'essentiel autobiographique, est centrée sur la pratique de la littérature expérimentale et la problématique de l'autofiction. En 1983 se déroule à Paris le drame familial qui hantera toute son œuvre : alors qu'elle n'a que 10 ans, son père tue sa mère devant ses yeux puis se suicide.

    Voici une courte présentation du livre par l'auteure pour commencer :

     

     

    J'ai une question. Que dire ? Qu'en penser ? Cet ouvrage fait assurément partie de ceux qui vous laissent sans mots, qui vous ont, dans le fond, bien assez nourri. Il y a une dimension prosaïque, extrêmement impudique, sur la vie de cette femme, cette histoire horrible qu'il faut bien avoir en tête avant de commencer la lecture : elle n'en parle jamais clairement, il y a des évocations post-drame, surtout. De ce qu'il est advenu après, de ce qu'il advient toujours. Elle raconte, tombe après tombe, les affres de cette famille, ces éclats que le malheur a laissés au sol, sans histoire, sans personne pour témoigner, si ce n'est Chloé Delaume elle-même.

    Ceci est une citation d'une citation.

    « Le réel, c’est quand on se cogne. »
    Jacques Lacan

    Je me suis délecté de cette plume constamment en recherche, de cette espèce de constant jeu littéraire, qui ne peut jamais s'arrêter, qui ne peut jamais rien en dire que des petits morceaux, jetés d'une façon impropre, et après, c'est à qui veut bien les saisir. Au cœur d'un cimetière parisien, on se sent partout, sauf dans un cimetière parisien. On voyage. La souffrance nous prend pour nous éjecter ailleurs, alors on respire comme elle, on voit comme elle, on sent comme elle, on découvre comme elle, on attend comme elle, on se met à haïr comme elle, on se met à réfléchir comme elle, à penser comme elle, à nier comme elle. C'était sans compter sur cette fameuse bonne nouvelle, qui survient vers le milieu du récit et dont je ne dirai rien... Et tout est renversé, mais cela importe peu, car après tout, rien n'a jamais été à l'endroit dans ce texte.

    « J’écris pour que tu meures. Puisque tu es vivante, encore tellement vivante que c’en est indécent. Ce qu’il faut à présent c’est que tu lises ces lignes et qu’enfin tu en crèves, que ton cœur se fissure, que le granit implose ; tes artères un brasier, le sang bout le sais-tu à combien de degrés, tes valves ravagées incendie poitrinaire. C’est à ça que j’aspire. A ton exposition. Carbonisée la chair abroge toute minauderie, la reine sera si nue qu’on scrutera en son sein. Alors sera révélée la nature de l’organe qui t’a maintenue en vie. Tu ne pourras plus feindre, tes entrailles en haillons se feront seul apparat. »

    L'ingéniosité perpétuelle m'a impressionné. Ce livre est une mine à inventions textuelles. Parfois, c'est visuel. Parfois, les mots seuls percutent. On sent à certains moments le besoin de faire des rimes, le travail qu'il y a dans la sonorité... J'ai cherché des vidéos de Chloé Delaume lisant mais je n'en ai pas trouvé, si tu en trouves tu peux me le dire ça me ferait très plaisir. Oui, je pense que ce texte mérite vraiment d'être articulé, mâché, qu'on y accorde une importance sur le plan des sons. Et d'un autre côté, il ne le faut pas (trop). Parce que la recherche primaire se fait sur papier, et les meilleurs échantillons restent ceux que l'on ne peut que lire.

    « Parfois je pense aux gens normaux et je les envie tellement fort que mon cœur n'est plus qu'une bouillie. »

    Une danse des morts remarquable, un laboratoire (comme elle se plait à l'appeler) des lettres, un voile macabre sur le monde. Il y a des témoignages, des discussions, avec des vivants, avec des morts ; il y a des chansons, des carnets, des voix, des retours, des réflexions sur le fait d'écrire. L'écriture est retardée en ce sens qu'elle cherche en écrivant quoi écrire. C'est tout à fait étonnant, et ce seul décalage suffit à me rendre totalement hystérique : j'adhère et en redemande.

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  • Ce que ma bibliothèque avale (aujourd'hui)

    Je ne peux pas le faire sur Twitter parce que c'est trop long, mais il faut quand même que je te fasse partager les nouveaux pensionnaires de ma bibliothèque. Aujourd'hui, donc, s'ajoutent à ma PàL :

    Jean Giono, Un roi sans divertissement

    Gaston Leroux, Le fauteuil hanté

    Paul Coelho, Veronika décide de mourir

    Jean Anouilh, Fables

    Shakespeare, Roméo et Juliette suivi de Le songe d'une nuit d'été

    Diderot, Le neveu de Rameau

    Le Clézio, Mondo et autres histoires

    Tu as lu tout ceci ? Par quoi dois-je commencer ? J'attends ton avis en commentaire ! Et si tu veux voir le monticule que j'ai à lire en entier, visite donc ma PàL !

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  • Petit mécénat des plumes
    texte de Fanny (Les Billets de Fanny)

    À la recherche de mon avenir — Nouvelle. Écrit pour le prix littéraire de 2015 sur aufeminin.

    Aujourd'hui, exceptionnellement, je fais la critique d'un texte qui m'a été proposé il y a déjà quelque temps par Fanny sur Twitter (@BilletsdeFanny), parce qu'il faut mettre en avant les talents en devenir, parce que je souhaite encourager ce beau travail, que cela me semble justifié étant donné que j'ai apprécié ce texte ; parce que j'ai simplement envie de vous faire partager ces quelques lignes...

    Il s'agit d'une nouvelle très brève, écrite dans un style dénué, cru, mêlant sous un certain angle réalisme et hyperréalisme. Une partie de récit, d'explications sur la situation du narrateur, précède une autre, plus indescriptible, qui fait basculer le temps du texte en apportant une description de l'instant, pour finir sur la chute (je vous déconseille de descendre jusqu'au bas de la page : elle est assez visible et ce serait dommage de la découvrir avant d'avoir lu tout le texte).

    C'est assez dur, d'une noirceur assez indirecte puisque — je le répète — rien n'est enjolivé, aucun sentiment autre que celui du narrateur ne transparaît, aucune morale n'est clairement assortie à ces lignes de descriptions. On a l'ébauche, l'auteur me l'a confirmé, d'un récit qui s'annonce très particulier... Le texte à lui-même se suffit, mais je ne cracherais pas sur une suite !...

    Pour aider ce texte, vous devez cliquer sur le bouton "J'aime" en haut de la page où il est exposé. N'hésitez pas non plus à partager l'article, ainsi qu'à rendre une petite visite à Fanny sur son blog, lequel expose très sympathiquement des lectures contemporaines en tous genres. Et en pleine période Tatiana de Rosnay, à ce que je vois... 

    Croisons les doigts pour ce texte plein de courage et de talent !

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  • Julie de Carneilhan


             

    Titre : Julie de Carneilhan

    Auteure : Sidonie-Gabrielle Colette

    Première parution : 1982

    Édition lue : Folio

    SYNOPSIS

     « Aristocrate déchue et vieillissante, Julie de Carneilhan vit dans un meublé, mais sa brosse à cheveux porte toujours son blason et l'odeur de la meute est accrochée à ses vêtements rapés. Sa faiblesse est d'aimer toujours son second mari, Herbert, remarié avec une femme riche. Une crise cardiaque terrasse Herbert. Il appelle Julie, elle accourt. Quand elle comprend qu'il prépare encore une fois une manœuvre sordide, elle s'en retourne, cavalière toujours fière, vers sa terre natale. »

     

    Encore une beauté sur mots illustrée par la très grande Colette... Une douce histoire, lente, dans les banalités, dans les coutumes, au cœur d'une noblesse archétypale, d'un mode de vie que l'on retrouve encore aujourd'hui, lui-même lent, lui-même doux, doucereux même, si on passe le terme ; c'est en somme la description d'une vie. Celle d'une femme qui prend soin d'elle, un tantinet manipulatrice, ego-centrée. Son entourage est ici un jouet perpétuel dont elle se lasse quand bon lui semble, qu'elle empoigne de nouveau quand bon lui semble, à qui elle parle avec la voix qui lui semble appropriée, dont les manières qu'il incombe de prendre à sa présence revient de sa seule opinion.

    « Je veux manger... je veux manger du fromage blanc et de la raie au beurre noir, parce que le noir et blanc fait très habillé. »

    J'ai retrouvé ce parfum distillé dont j'aurai tant parlé à propos de La retraite sentimentale, peut-être légèrement moins prononcé. On peut raisonnablement supposer que Colette était encore assez tatillonne quant à son style, qu'elle était du reste au commencement de son ascension des lettres. Il y a davantage de dialogues, de passages exilés, de fragments un peu exotiques et décalés que je n'avais supposé dans cette plume, qui sont particuliers mais toujours si agréables à lire. Et puis il y a cette magie inextricable qu'elle a de raconter du réel, du vide presque, si je puis dire, avec une telle volupté, une telle passion, une telle force... Un mauvais tour des historiettes de cœur qui se retournerait contre le lecture ? Quel délice !

    « C'est curieux, pensait Julie, qu'Herbert n'ait jamais su parler à un secrétaire, ou à un subalterne sur un ton naturel. L'autorité des Espivant est comme leur titre, un peu neuve. Saint-Simon les a vus essuyer leurs plâtres, et Viel-Castel les charrie... »

    Des histoires au téléphone, on ne sait pas qui va rendre visite à qui, pourquoi, comment, qui est amoureux de qui, qui est marié à qui (ce qui fait toute une différence), on sait que quelqu'un souffre, on essaye de nager dans cette affluence de noms, de lieux, de desseins, et l'on finit par se résigner : quelle importance ? Ce qui compte, c'est le parfum — encore, toujours le parfum ! Des manigances, des rêves, des réalités, des mondanités, beaucoup de mondanités. Les querelles des classes aisées qui se tirent les cheveux pour des amants en trop ou de l'argent éparpillé inconsidérément. Il y a une tristesse, une certaine tristesse. Une monotonie, je dirais. Que l'on peut deviner, étroitement distinguer dans cet amas de sentiments.

    « Elle le regardait avec un reste de bonté, et fredonnait pour ne pas lui répondre : "C'est si triste parce que tu n'es pas fait pour y être avec moi, et que rien ne t'y est destiné. Tu n'es fait ni pour boire, ni pour dîner avec une femme qui ne t'aime pas, qui vient de loin, qui reste loin même quand tu la serres contre toi. Tu es bâti pour dîner en famille, pour être gai quand c'est samedi, pour te donner des airs de distancer ton père que tu es juste capable de suivre, et même de respecter. Moi aussi, je trouve que c'est triste, d'être ici. »

    On a l'impression que la vie est un jeu. Tout est permis, toutes les issues restent ouvertes jusqu'à ce que le choix soit fait. Alors on repart à nos occupations, à nos rêves à nous, bien moins ambitieux sûrement, bien moins nobles — oh cela ! ce n'est pas si sûr... Des retrouvailles avec la déesse des amourettes dont je ne me lasserai jamais. Un roman d'amour du XXème. Avec poésies, légers retournements de situation, rejets, mensonges et trahisons. S'en délecter apparaît comme une urgence.

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  • Poèmes du corps traversé


             

    Titre : Poèmes du corps traversé

    Auteur : Jean-Pierre Siméon

    Première parution : 1998

    Édition lue : Cheyne

    SYNOPSIS

     « Jean-Pierre Siméon est né en 1950 à Paris. Professeur agrégé de lettres, il enseigne à l'École normale de Clermont-Ferrand. Cofondateur de la revue Arpa, il participe également à la vie des Cahiers de l'Archipel. A publié une dizaine de recueils de poèmes, en particulier chez Rougerie (Hypnose du silence, Présence abandonnée du corps, Trente élégies de l'ardeur) et à l'Imprimerie de Cheyne (Fuite de l'immobile, prix Artaud 84, A l'aube du buisson). Collaboration à de nombreuses revues. Auteur par ailleurs de nouvelles et de pièces de théâtre. »

     

    Dans l'édition originale, les Poèmes du corps traversé précèdent Les douze louanges. C'est donc un recueil de poèmes — appelons cela ainsi — en deux parties, la seconde étant moins fournie. Une suite logique dont le thème semble être le corps, comme l'indique le titre. Il est en effet très ardu de distinguer le véritable dessein de ces fragments de textes, si ce n'est l'éloge de la fébrilité, du sensuel, du charnel et d'une passion assez indescriptible.

    « Comme tu approches dans ton pas trop privé ! Tu survis, tu as le goût de tes nombreuses guérisons.

    Il faudrait parler de la pureté de l’air où tu te risques chaque fois que tu répugnes à l’invisible (le verger est ainsi, sa couleur passe son supplice).

    Il faudrait prévenir la parole de ses marges lasses, accomplir dans ton visage rudoyé les intentions de la douceur. »

    Une série de répétitions, de dialogues sourds, d'adresses dont on ne comprend strictement, absolument rien, et dont le but demeurera, je le souligne sans regret aucun, dans les nébuleuses. J'aurais d'abord dû compter le nombre total d'emplois du mot lèvres, et ce fut pourtant le seul point, la seule évocation qui pût s'apparenter à une description du corps, du moins un regard pour le corps, une attention pour le corps. Il y a manifestement un rapport à l'espace, au temps, aux yeux à adopter pour voir le monde, et intrinsèquement à une certaine condition de vie, une philosophie particulière que l'auteur aurait tenté de distiller à travers ces lignes.

    « Légère et réunie, ta parole me précède. Encore un miroir comblé de ton visage : tes jaillissements sont illustres, ils brûlent mes herbes pauvres.

    Je t’attends, cheminante, sur des lieux vendangés. Hors du vide, de son bronze anonyme, il n’y a place que pour ta durée. Tu prends forme des saisons, de leur vase limpide.

    Légère et réunie, ta parole me précède. Encore un miroir comblé de ton image, la proche apothéose de ton corps. »

    Je me suis senti trahi par une poésie qui, au premier abord, m'a paru magistralement dénudée, remarquable par sa puissance, qui devait devenir un flot de paroles qui eussent parfaitement pu être prononcées par un fou à lier, incompréhensibles : de la poésie inatteignable ? Y aurait-il quelque ironie à déceler, je ne sais pas ? Une chose est sûre : je n'y suis pas sensible du tout, quoique quelques passages m'aient interpellé par leur sonorité, leur agencement, mais cela ne fait que renforcer ma déception en ceci que tous les passages devaient être ainsi.

    « Ton geste d’aujourd’hui habille la maison. Ici les miroirs respirent, le ciel appartient à ton épaule. Congé sera donné au toit, qu’il dorme avec les pierres recluses !

    Quel masque faut-il rompre, quelle distance déplacer jusqu’à la fenêtre ? Nous nous tenons, jeune parfum, dans la fraîcheur de l’instant. Nous mesurons le jour à son bond capricieux.

    Tour à tour dans l’éveil et la richesse du drap, le corps revient à sa chance, laine du repos, confiante beauté. »

    Et j'en viens au pire : l'ingénuité des mots, presque adolescente, qui a transparu ; à ma lecture, j'ai été constamment enfoncé par ce parfum abominable d'idéalisme (toujours bien incompréhensible, inatteignable... on s'en lasse, comme on s'en lasse !), de je ne sais trop quel utopisme (du corps peut-être), d'une foudroyante innocence... Cela peut se lire en trente minutes à peine, mais j'ai mis plusieurs jours à le grignoter parce que je n'arrivais pas du tout à m'y plonger : je n'y suis du reste jamais arrivé. En bref : la poésie adolescente inaccessible, très peu pour moi. Je regrette de m'y être attardé et de finir sur une telle désillusion : la forme du recueil m'inspirait, m'enchantait beaucoup. L'habit, hélas, ne fait pas le moine. Preuve en est faite.

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